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Agriculture

Au nom de la canne à sucre…

La Sosumo (Société sucrière du Moso) fait flèche de tout bois pour réhabiliter, moderniser et étendre ses champs de canne à sucre. Objectif : atteindre 35.000 tonnes de sucre par campagne. Pour y parvenir, elle fait recours aux terres appartenant aux paysans, « cédées ». Néanmoins, certains propriétaires de ces terres se lamentent. Reportage.

Mardi le 20 septembre 2022, une équipe de reporter se rend à Rutana, pour se rendre compte de l’extension des plantations de canne à sucre de la Sosumo.

Le groupe se dit qu’il faut avant tout écouter attentivement les paysans, les administratifs à la base, s’entretenir avec eux sur les relations entretenues avec cette société en pleine expansion.

C’est dans l’après-midi sous une fine pluie que nous empruntons les pistes, nous croisons très peu de véhicules mais les paysages faits essentiellement de marais présagent que ces étendues sont très fertiles.

Curieux, un homme, la cinquantaine s’avance vers nous, je dois avouer que nous sommes un peu perdus. Il se propose de nous guider et de nous indiquer où se trouve les nouvelles plantations de la Sosumo.

Notre guide nous demande si nous voulons aller à Rugunga ou à Bareremba, puisqu’il y a deux entités. Nous choisissons de commencer par Rugunga pour terminer par Bareremba.

Il accepte de nous indiquer le chemin et nous prenons la route menant dans ces champs. Nous traversons la rivière Mutsindozi, elle coule majestueusement arrosant tous ses alentours.

Après quelques détours nous voilà dans le marais de Rugunga tout près de la rivière Malagarazi. « De l’autre côté, c’est la Tanzanie », nous confie notre fixeur improvisé. Quelques travailleurs saisonniers s’apprêtent à monter dans une pirogue. Ils nous confient qu’ils se rendent dans ce pays y chercher du travail.

Ce vaste marais s’étend sur deux collines dont Rutenderi et Nkaramanyenye de la zone Gatabo, en commune Kayogoro dans la province de Makamba.

Et là, nous rencontrons des gens qui y ont des champs dans le périmètre de la Sosumo. Nous leur disons que nous sommes des journalistes. Ils ne se font pas prier pour nous confier leurs peines. Ils nous confient qu’ils sont un peu désespérés.

L’un d’eux, la soixantaine, nous révèle qu’il a de la peine à nourrir sa famille : « Nous avions dans ce marais des différentes variétés de cultures vivrières : du haricot, de la patate douce, du manioc, du sorgho, des colocases, des plantations de bananiers et de palmiers à l’huile. Tout y poussait bien. Nos familles n’avaient pas de soucis ».

Mais, nuance-t-il, regardez aujourd’hui ! La Sosumo amène ses tracteurs, et ces derniers n’épargnent pas nos cultures : « Seuls ceux qui y ont des cultures pérennes bénéficient des frais d’accompagnement de 25.000 Fbu chacun. Tout cela au nom de la canne industrielle ».  

Le hic

Avant l’introduction de la politique de la canne villageoise, expliquent les paysans interrogés, les gens de Nkaramanyenye, colline surplombant le marais de Rugunga, étaient bien, mangeaient à leur faim.

De leurs récoltes de cultures vivrières, racontent-ils, ils pouvaient facilement gagner plus de 900.000 Fbu par hectare et par an.  Et depuis, relate-t-il, la Sosumo est venue et a proposé à la population de céder leurs terres cultivables se trouvant dans ces marais pour la plantation de canne à sucre et la promesse était que, ceux qui vont céder leurs champs auront beaucoup d’avantages.

Atewetika (pseudonyme) se confie : « Pour accepter la cession de ces champs, la Sosumo nous a promis des tôles pour la construction de belles maisons, des crédits bancaires pour la création des activités génératrices de revenus, etc. Après avoir cédé nos terres, nous constatons aujourd’hui que les promesses en sont restées là ».

Il poursuit son récit : « Nous sommes dans une situation embarrassante. A la récolte, la Sosumo nous paie 5.000 Fbu par tonne de canne à sucre. Mais nous avons réclamé la hausse du prix. Cela fait une année qu’on nous donne 10.000 Fbu par tonne. Avec ce paiement, c’est à peine qu’on totalise 200.000 Fbu par ha. Un hectare peut donner entre 16 et 20 tonnes de canne à sucre par campagne ».

Selon un autre paysan de cette localité, c’est déplorable que la Sosumo continue à obliger les gens de céder leurs champs pour l’extension de la canne villageoise à Rugunga, alors que les lamentations continuent à s’entendre.

Que la Sosumo augmente au moins le prix de la canne à sucre…

A Bareremba, les paysans ne cachent pas leur mécontentement : les prix sont trop dérisoires et ils le disent : « 10.000 Fbu, la tonne de canne à sucre, c’est bas ».

La politique de la canne villageoise y aurait commencé vers les années 1994. Ceux qui avaient des champs recevaient 700Fbu. Aujourd’hui, il faut que la Sosumo revoie à la hausse son tarif : « Au moins une tonne de canne à sucre pourrait s’acheter à 20.000Fbu ».

A part ce prix jugé dérisoire, il y aurait des tricheries à la pesée par des employés véreux de la Sosumo : « A un certain moment, on nous a dit que la balance était tombée en panne et là, la Sosumo a dû considérer la production de l’année passée pour nous payer. Mais à y voir de près, la production de cette année était de loin meilleure que celle de l’année dernière », se désole unpropriétaire de terres cédées à la Sosumo.

Ce qui est déplorable voir impensable, insiste ce paysan, c’est que personne n’a le droit de se retirer de ce programme. « Pire encore, personne ne sait si les contrats signés entre les représentants des agriculteurs et la Sosumo peuvent être résiliés ou non ».

Le gouverneur de la province de Rutana, Olivier Nibitanga affirme être au courant de ces lamentations de la population. « J’ai même envoyé une correspondance au ministre en charge de l’agriculture afin qu’une solution à soit trouvée ».

Associer la population pour atteindre la production de 35.000 tonnes

Mercredi le 21 septembre. L’équipe des reporters qui a préalablement appelé l’Administrateur Directeur Général de la Sosumo est reçue. Il insiste pour que le directeur de l’agriculture et le directeur technique se joignent à lui pour répondre ensemble aux questions des journalistes.

Aloys Ndayikenguriye, l’ADG de la Sosumo explique les projets qui les tiennent à cœur : « Les projets que nous exécutons s’inscrivent dans le plan d’affaire de réhabilitation, modernisation et extension des champs de canne à sucre et de l’usine. Il est prévu d’augmenter la production de 20.000 à 35000 t de sucre par campagne. Pour atteindre cet objectif nous avons jugé bon d’associer la population locale afin d’avancer ensemble ».

Jean Claude Ntwari, Directeur de l’Agriculture à la Sosumo fait savoir qu’au total, la plantation de canne industrielle s’étend sur une superficie de 3.680ha, dont 230 ha sont occupés par la canne villageoise déjà exploités et 36 ha en cours d’exploitation.

La canne villageoise se trouve sur deux entités dont Rugunga et Bareremba. A Rugunga seules, plus de 4000 personnes ont intégré ce programme. « Les gens acceptent de céder volontairement leurs champs pour la plantation de canne industrielle. Ils y voient des avantages énormes. Quelqu’un peut avoir facilement plus d’un million sur un hectare. Car dans un hectare on peut avoir plus de 120 tonnes.  Et s’il y a l’un ou l’autre qui a une urgence, il peut venir prendre une avance sur sa production attendue », a dit Ntwari Jean Claude.

Et de conclure que la population ne fait rien que de céder leurs champs. Le reste c’est la Sosumo qui s’en occupe : le labour, sarclage, les engrais, la mise en place des digues, la récolte, le transport, etc.

Bref, fait-il remarquer, les dépenses sont énormes du côté de la Sosumo. « Les propriétaires des terres ne viennent que pendant le paiement. Par tonne de canne à sucre, ils ont 10.000FBu. Les prix sont négociables et les contrats se renouvèlent après 5 ans. Et personne ne peut se retirer du programme ».

« Nous explorons d’autres voies pour qu’il y ait un léger mieux pour les paysans »

Selon l’ADG de la Sosumo, les lamentations de ces paysans qui ont cédé leurs terres lui sont parvenues : « Nous savons qu’ils veulent et souhaitent une révision à la hausse du prix de la tonne de canne à sucre, mais nous explorons d’autres alternatives comme les coopératives regroupant ces paysans ».

Selon Marius Nsabumuremyi, Directeur technique de la Sosumo, une tonne de canne à sucre donne un rendement industriel qui varie entre 105 et 110 kg de sucre.

Selon le directeur de l’agriculture de la Sosumo, un plan d’affaires de réhabilitation, de modernisation et d’extension de la Sosumo a été déjà élaboré et son coût est estimé à plus de 110 milliards de Fbu.

Le gouvernement devrait l’adopter afin que la Sosumo puisse avoir une ligne de crédit. Dans ce projet, il est question d’étendre la Sosumo à Giharo et y implanter une nouvelle usine de production. La Sosumo compte exploiter dans cette commune une superficie de 12.000 ha. 

De plus, fait savoir Ntwari, la Sosumo compte développer le projet d’irrigation des plantations : « 70% de ses plantations ne sont pas irriguées. Ce qui constitue un défi majeur pour le développement de cette société ». 

Un autre projet en cours pour booster la production de la Sosumo, est l’introduction de nouvelles variétés de canne à sucre : « Les six variétés qui sont cultivées par cette société sont vieilles de 34 ans.  30 nouvelles variétés sont alors en essai en collaboration avec l’Isabu pour essayer de trouver des variétés plus productives, résistantes et homologuées ».

La Sosumo a dans ses pépinières des plants d’arbre et de bambous. « L’objectif est de protéger l’environnement et renforcer les digues construites le long de la rivière Mutsindonzi et au bord de Malagarazi pour que les marais aménagés ne soient plus inondés ».

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