D’aucuns affirment que le doute permet de s’affranchir du prêt-à-penser. Pour Hélène Mpawenimana, enseignante, chercheuse et chef du département de journalisme et communication à l’Université du Burundi, non seulement il est humain, mais sollicité dans les sociétés post-conflits, il permet la réduction des messages de haine.
Quand est ce qu’il faut douter dans un pays post-conflit ?

Il n’y a pas de temps ou moment précis à partir duquel il faut douter ou ne pas douter. Mais en général, dans une société post-conflit, le doute survient lorsqu’on pense qu’une action ou une pensée peut réactiver les conflits. Si on vous dit par exemple qu’un groupe X a attaqué un groupe Y dans le passé et que ce dernier en a tellement souffert, si vous êtes membre du groupe Y, vous pouvez peut-être directement penser à la vengeance. Mais si vous prenez du recul pour réfléchir un peu, vous pouvez constater qu’en vous vengeant, vous ne ferez qu’empirer la situation et, partant, chercher à savoir ce qui s’est réellement passé sur ce qu’on vous a donné comme information. Et de là, vous pouvez abandonner votre envie de vengeance. Donc dans un pays post-conflit, il faut faire attention aux paroles et discours qui ont conduit le pays dans le gouffre chaque fois qu’ils réapparaissent.
Pourquoi douter en cas de transmission de la mémoire blessée ?
En cas de transmission de la mémoire blessée, le doute est obligatoire parce que les informations, la culture transmise, peuvent être à l’origine de nouveaux conflits sur base des différentes interprétations faites à cette mémoire. En outre, le doute permet de ne pas dire n’importe quoi ou accepter tout ce qui est dit comme parole de l’évangile. Il permet de s’affranchir du prêt-à-penser, ces idées toutes faites, exprimées sans examen critique. Un proche vous dit par exemple que votre père a été tué pendant la crise de 1993. Or, il s’avère que votre père a été tué dans un cambriolage parce qu’il était voleur. Mais le fait de vous raconter cet évènement douloureux qui coïncide avec une période douloureuse de l’histoire du Burundi, peut vouloir signifier que votre père a été victime de son appartenance ethnique alors que c’est totalement faux. Le doute permet donc de réfléchir et de rechercher la vérité sur ce qui s’est réellement passé, réduit la prolifération des messages haineux et évite ainsi aux individus de tomber dans le piège de revivre des moments douloureux du passé.
Est-ce que le doute est Burundais ? Si oui, quelle est sa place culturellement ?
Je ne dirais pas que le doute est Burundais mais il est humain. Il émane de la nature humaine car il naît à l’intérieur de nous, en nous et par nous. Nous générons nous-mêmes ce sentiment du doute et nous l’amplifions. Toute personne pensante a toujours des doutes et avant chaque action, elle réfléchit. Et en réfléchissant, la personne constate que telle action est bonne ou mauvaise. De là, le doute mène à une action bien réfléchie, à une action qui sera bénéfique au plus grand nombre d’individus.
Comment développer la culture du doute ou l’esprit de critique dans un pays post-conflit comme le nôtre ?
Dans un pays post-conflit comme le Burundi, la culture ou la promotion du doute se fait en invitant tout un chacun à faire l’analyse des conflits qui ont secoué le pays et voir s’il n’y a pas de lien entre eux et la situation du moment. Cela permet d’éviter que la situation qui règne puisse être à l’origine des conflits pouvant déchirer encore une fois notre pays.
